Une approche du selfie individualiste
Afin de déterminer le selfie comme étant le résultat d’une rupture ou d’un renforcement de lien social, nous allons nous appuyer sur les thèses des « pères fondateurs » de la sociologie des sociétés modernes, qui a pour matière la compréhension des phénomènes sociaux ainsi que de ces facteurs. Elle considère les comportements humains comme étant justifiables et compréhensibles grâce aux relations que maintiennent les individus les uns avec les autres. Les sociologues ont édifié différentes théories qui conçoivent les relations entre les humains sous divers angles. Les deux principales théories essayant de comprendre les phénomènes de la société moderne sont, Durkheim avec le « fait social » et Weber avec « l ‘interaction » (écrits au début du XXème siècle). Comme le phénomène selfie peut aisément être le sujet d’une étude sociale et que les théories de ces deux sociologues sont encore applicables à notre époque, nous choisissons de nous appuyer sur ces derniers pour notre étude.
La première théorie exposée sera celle de Max Weber, économiste et sociologue allemand né en 1864. Issu d’une famille bourgeoise dont le père a mené une carrière dans la politique. Très jeune, Max weber rencontre des politiciens ainsi que des intellectuels tel que Dilthey. Passionné d’histoire et de philosophie il débutera dès lors des études de droit et d’économie, puis enseignera à l’université de Berlin le droit et à Fribroug l’économie politique. Cependant suite à une maladie, il cessera sa carrière de professeur en 1903 et participera en 1910 au côté à la création de la Société de sociologie en Allemagne. Il a aussi en 1904, au côté d’Edgar Kaffé, crée la revue « Archives de sciences sociales et de sciences politiques » qui est une période consacré aux sciences sociales économiques et politiques, dans laquelle il publiera son premier grand ouvrage « L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme » (une des œuvres fondatrices de la sociologie moderne). Il reprendra sa carrière de professeur en obtenant un poste de professeur d’Économie et société à Vienne dans une école supérieure et, en 1919, le poste de professeur de sociologie à Munich. Le « père fondateur de la sociologie moderne« décèdera d’une maladie en 1920. Une œuvre posthume « Économie et société » sera publié en 1923. Elle résume toutes ses conclusions.
Max weber a eu son rôle dans la perspective sociologique et a donné sa propre définition de la sociologie, qu’il définit comme science de l’action social. On entendit ici par action social, le comportement auquel l’individu donne un sens orienté par rapport aux acteurs sociaux. Il y a une « interaction sociale ». On attribue à Weber le mot allemand « Verstehen » de sa traduction française « Comprendre ». En effet, selon la méthode de travail de Max weber, pour comprendre de manière plus profonde un phénomène social et sa société, il faut avoir une vision « interne », c’est à dire se mettre à la place des acteurs sociaux et mettre en évidence ses actions individuelles. Pour cela, il élabore la sociologie compréhensive qui a comme but la compréhension des raisons qui ont poussé un individu à agir, et qui est dans notre cas, pousse les individus à se prendre en photo. Cette sociologie à deux étapes : comprendre quel sens donnent les individus lors de leurs action puis en suit une explication de leurs actions. Aussi, on doit comprendre comment l’acteur social adapte ses actions en fonction des autres individu.
A l’inverse du holisme de Durkheim, la thèse de Weber est celle de individualisme méthodologique, où l’individu a une place importante. Le point de départ pour expliquer les faits sociaux est celui des comportements des individus qui agissent de façon individuelle et non à l’influence de leur environnement. Les phénomènes de groupe peuvent être expliqués par les actions des individus et leurs interactions, c’est donc l’agrégation des actions individuelles qui constitue le phénomène. Selon cette théorie, les acteurs sont libres d’agir, et agissent de manière rationnelle. La rationalité est un autre point important de sa théorie. Weber distingue deux grands types rationnelles déterminant l’action de l’auteur :
1 – L’action rationnelle « en valeur » : l’action à comme point de départ les valeurs de l’individu. Il ne prend pas en compte les inconvénients et avantages de son action. « Je le fais car cela me convient. »
2- L’action rationnelle «en finalité» : L’individu qui a un but précis, fait un calcul rationnel, c’est à dire coût/avantages, avant d’agir.
Lors d’une d’action rationnelle l’individu agit en prenant conscience du sens qu’il donne à ses actions.
Dans le cas de la thèse de Max Weber, nous considérons alors que l’individu se prend en photo de façon individuelle et non à l’influence de son environnement. L’individu prend donc son selfie de façon rationnelle. Il se prend en photo car il en a envie, rien ne l’influence, il est libre d’action. Plusieurs motivations peuvent être à l’origine de la prise d’un selfie après tout. Certaines personnes feront le choix de prendre des selfies pour célébrer des occasions spéciales comme une soirée, des vacances à l’étranger ou même l’achat d’un nouveau vêtement. Alors qu’est-ce qui rend un selfie si prenant? Quel sens donne l’individu au selfie ? Selon Pamela Rutledge, psychologue et directrice du Centre de recherche de psychologie média américain, l’envie de prendre un selfie et de le poster, vient tout simplement de l’objectif d’en obtenir un « j’aime ».
Jeune fille prenant un selfie lors d’un évènement particulier.
Certains amateurs de selfies s’ auto-proclameront même comme étant des metteurs en scènes capables de partager une perception artistique et un message plus importants, tout comme le ferait un artiste photographe. Les gens agissent de cette manière sans prendre en compte les inconvénients et avantages de leur action.
Exemple de selfie pris en vacances.
Ils le font simplement car ils ressentent le besoin de partager leur selfie à travers les réseaux sociaux ou leur proche entourage, sans même se soucier des personnes qui pourraient le voir (comme son employeur, ou ses parents). Mais maintenant si l’individu prend en selfie de façon rationnelle « en finalité » c’est pour différentes raisons qui sont relatives à tous. Selon Rutledge, lorsque cela est fait de façon réfléchie, prendre un auto-portrait peut vraiment permettre de trouver confiance en soi. Comme le selfie peut répondre à certaines nécessités, il est normal de voir qu’il redonne confiance à l’individu d’une certaines manière, notamment lorsqu’il reçoit des compliments après l’avoir posté.
Image humoristique représentant le fameux selfie « Duckface » (autrement dit, bouche de canard)
En effet, certaines personnes choisirons de poster leur selfie dans le but de recevoir des compliments, d’autres pour avoir un avis critique (ne sait-on jamais), ou bien pour simplement partager des bons moments ou même ceux du quotidien. Certaines finalité sont effectivement insolites. Prendre un selfie selon le thème du moment (notamment celui de la « Duckface »), à but humoristique, pour « paraître » dans un sens avantageux (avec le cas des selfie « Photoshopés » ), faire parler de quelque chose par le biais du selfie qui est très actuel, ou même se créer une vie passionnante (avec les prises de selfies à chaque moments géniaux se déroulant)… Les orientations sont décidément variées. L’individu trouvera toujours une explication révélatrice de leur prise de selfie.
Célèbre selfie pris dans l’espace par l’Astronote Mike Hopkins le 24 déc. 2013
Si l’on applique notre phénomène à la théorie des actions sociales de Max Weber, nous nous rendons compte que ce phénomène est étudié d’un point de vu « interne » et est simplement le fruit de notre envie de se prendre en photo. Qu’en est-il donc de la théorie d’Émile Durkheim ?
Le selfie oppressant l’individu
Émile Durkheim
Émile Durkheim est l’un des pionnier de la sociologie moderne. C’est grâce à Durkheim que la sociologie a connu un fort élan à la fin du XIXème siècle. Né à Epinal en 1858, Durkheim était l’un des membres d’une brillante lignée de rabbins érudits. Il obtient l’agrégation de philosophie en 1882 après son intégration à l’École normale supérieure. Par la suite, il devient professeur en 1887 et se consacre aux cours de pédagogue et de sciences sociales à Bordeaux. C’est en ce lieu-même qu’il entamera la rédaction de ses nombreux ouvrages de sociologie. A Sorbonne, en 1902, il fut nommé puis substitua Ferdinand Buisson ; c’est seulement en 1903 que son instruction s’élargit officiellement à la sociologie. En 1917, il meurt.
Sa théorie
Couverture de « Les Règles de la méthode sociologique » (1919)
Durkheim est le fondateur de l’objet d’étude du « fait social ». D’après lui, lorsque que l’étude se met en place, cela veut dire que nous admettons ce fait social spécifique et donc nous prenons une position anti-psychologiste. Cela veut aussi dire que nous reconnaissons que les phénomènes collectifs sont dissemblable d’une simple addition de réactions individuelles, «Un fait social se reconnaît au pouvoir de coercition externe qu’il exerce ou est susceptible d’exercer sur les individus.» Le raisonnement de Durkheim diffère entre une explication historique : «l’origine première de tout processus social doit être recherchée dans la constitution du milieu social interne» et une contenance que l’on qualifierait de nos jours, de fonctionnelle. Assimilant parfois la recherche des origines et la découverte des fonctions, il tente une entente en affirmant qu’il faut utiliser ces deux points de vue indépendamment.
Pour pouvoir étudier un « fait social », nommé par Durkheim, il faut tout d’abord « considérer les faits sociaux comme des choses« . « Nous ne disons pas en effet que les faits sociaux sont des choses matérielles, mais sont des choses au même titre que les choses matérielles, quoique d’une autre manière. Qu’est -ce en effet qu’une chose ? La chose s’oppose à l’idée, comme ce que l’on connaît du dehors à ce que l’on connaît du dedans […] Traiter des faits d’un certain ordre comme des choses, ce n’est donc pas les classer dans telle ou telle catégorie du réel, c’est observer vis-à-vis d’eux une certaine attitude mentale.». C’est alors grâce à ce résonnement que la sociologie française a été la première à admettre que la sociologie est une science comme les autres et que donc son achèvement est celui de la découverte de relations générales entres les phénomènes. Durkheim accentue le fait que les observations doivent être faites de conduite impersonnelle, praticables et contrôlables par tous, avant d’être conceptualisées de façon rationnelle.
Les faits sociaux sont donc externes à l’individu et doivent être justifiés « par les modifications du milieu social interne et non pas à partir des états de la conscience individuelle ». En effet, un fait social peut être autonome de l’individu, les fait sociaux existent « indépendamment de leurs manifestations individuelles. » Ce qui peut en outre être traduit comme étant imposé voir déterminé à l’individu, qu’il le veuille ou non. Cela correspond à une structure de normes établies par et pour la société et n’est guère modifiable différemment que par un bouleversement social.
Dans le cas de la thèse de Durkheim nous considérons alors, pour une partie de l’étude, que le phénomène selfie est un « fait social ». Pour cela nous aurons dans notre début de démarche un point de vue fonctionnaliste, déterministe. Après être partit de l’origine du selfie à travers les années, nous étudions l’environnement des individus pratiquant le selfie.
Comme le suicide est considéré à part entière comme un fait social, de la part de notre cher sociologue, nous décidons de nous référer au cas du suicide pour notre étude du selfie malgré le fait qu’il soient tout deux différents. Certains points sont vraiment intéressants pour notre étude de cas, c’est pourquoi nous choisissons de garder cet ouvrage comme référence. « Quand la société est fortement intégrée, elle tient les individus sous sa dépendance, considère qu’ils sont à son service et, par conséquent, ne leur permet pas de disposer d’eux-mêmes à leur fantaisie » d’après Émile Durkheim dans son étude sur le suicide.
Dans la première partie intitulée « Les facteurs extra-sociaux », Durkheim réfute en fait les thèses non sociologiques qui expliquent le suicide. Il rejette d’abord les causes psychopathiques : folie, monomanie, neurasthénie, alcoolisme… Il les admet seulement comme un terrain favorable. Dans une seconde partie intitulée « Causes sociales et types sociaux », Durkheim présente plusieurs types de suicides et donc plusieurs causes. Il présente d’abord le suicide « égoïste » dû à un manque d’intégration sociale. Ce suicide varie avec le sexe : il est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Durkheim expose ensuite le suicide « altruiste » qui défini les sociétés où les valeurs collectives tiennent une place si importante que l’individu peut étouffer sa propre aptitude de conservation au détriment des exigences sociales. Dans une troisième partie nomée « Du suicide comme phénomène social en général », Durkheim conclue que le suicide reflète l’état moral d’une société. Si un certain nombre de suicides paraissent acceptable, un taux trop élevé est inquiétant. Durkheim réfute le rendement des mesures répressives et de l’éducation qui ne fait que renvoyer à l’état moral de la société. Il désapprouve le renforcement des groupes qui encadrent l’individu et notamment le groupe professionnel, intermédiaire entre l’individu et l’État.
L’étude de cette démarche est intéressante car elle peut facilement être applicable au selfie et nous pouvons aisément reconnaitre notre sujet dans son œuvre.
Le selfie s’est intégré au fil des années et même depuis bien longtemps, comme nous avons pu le voir, et donc s’est trouvé une place au sein de nos sociétés par le biais de nombreux facteurs. Approchons nous des « facteurs extra-sociaux » des pratiquants du selfie comme l’a si bien introduit Durkheim. Étant donné que de nos jours la majorité des individus dans les pays développés ou en voie de développement ont aisément accès à internet, ils ont donc une facilité pour le partage de photos et même avant tout un accès à l’information qui leur permet déjà la culture du selfie. Du fait que ces « pratiquants du selfie » aient accès aux nombreux réseaux sociaux, ils sont alors au courant des nombreux « mouvements », « modes » et même « phénomènes ».
Abordons ensuite la question des « Causes sociales et types sociaux » des individus exerçant le selfie. Le selfie peut facilement être un outil d’intégration parmi des groupes d’individus. Pour ne pas se sentir à l’écart de ses amis, dans la vie de tout les jours, ou de ses abonnés sur les réseaux sociaux, l’individu se prend alors en photo pour faire partager son quotidien comme la majorité des internautes, ou alors comme le fait de nombreuses célébrités et personnes importantes. La prise de selfie varie selon le sexe, l’âge et les régions du globe ;
Pourcentage de selfies en une semaine selon les sexes et les régions (selfiecity.net) mise à jour de la recherche par Mehrdad Yazdani , chercheur scientifique, Initiative d’études Software.
en effet, les femmes sont plus nombreuses à prendre des selfie que les hommes, ensuite la moyenne d’âge des usagers du selfie est d’environ 23,7 ans — d’après le documentaire Square : Selfie, narcissisme ou forme d’art sur Arte —,et enfin certains pays le pratiquent plus que d’autres ( sur le site http://selfiecity.net/ quelques pays sont mis en avant. ). Il y a enfin le selfie que l’on peut qualifié « d’altruiste » comme Durkheim, car depuis l’arrivée de l’information, qui est l’un des résultats du processus de mondialisation, celle-ci joue considérablement sur l’individu car elle s’appuie sur l’encadrement d’une société dans laquelle les valeurs collectives sont notables, pouvant jusqu’à amener l’individu à se sentir oppressé. Autrement dit l’individu se sent « obligé » de se prendre en photo pour jouer le « jeu social et du partage », et appartenir à la communauté. Il doit alors prendre un selfie puis le mettre en photo de profil pour se créer une place dans les réseaux sociaux, voir la société en général.
Nous pouvons maintenant nous intéresser à l’avis de spécialiste sur le selfie, comme l’avis de Dominique Wolton, intellectuel français et spécialiste de la communication politique, de la technique et société. Selon lui, l’autoportrait, le selfie est un bon moyen de communication et de partage.
« l’individu est d’autant plus « interactif » que les contacts réels sont difficiles, le selfie permettrait en plus de favoriser de nouvelles relations, de s’affranchir d’une autre barrière dans les échanges, celui de la maîtrise de la langue. On pourrait ainsi communiquer par photos interposées et signaler à/avec l’autre que l’on partage une idée, mais aussi un moment, par l’intermédiaire, d’un « j’aime », d’un « retweet » ou d’un « cœur ».
Dans l’application des thèses de ces deux sociologues sur notre phénomène selfie, nous nous rendons compte que le selfie est d’une part un désir de se montrer (par diverses motivations), mais aussi une oppression faite à l’individu en échange d’une intégration. Même si d’un côté le selfie peut avoir comme démarche un effet négatif sur l’individu, dans le cas de Durkheim, les deux thèses nous prouvent bien que ce phénomène renforce les liens sociaux. En effet, il nous permet de nous faire de nouvelles rencontres, de nous faire plaisir et alors créer des interactions et influences auprès des autres, et enfin apporter, à nous autre individu, un moyen de se socialiser et de faire « parler de soi » aux autres.